Autofictions et Cie-Philippe Lejeune
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الكاتب: mdahi


 حرر في السبت 12-06-2010 06:38 أ•أˆأ‡أچأ‡

Pièce en cinq actes
Acte 1, 1973.
La scène se passe dans le petit salon carré du Pacte autobiographique. Philippe Lejeune transforme en jardin à la française les broussailles de la littérature du moi. Il médite devant un tableau à double entrée, croisant deux éléments de l'engagement possible d'un auteur : la déclaration du genre pratiqué (roman/ rien/ autobiographie) et le nom donné au personnage principal (un autre que le sien/ aucun/ le sien). Neuf cases. Trois cas très clairs d'autobiographie, trois cas très clairs de roman, au centre une case indéterminée, et un résidu : deux cases contradictoires. Il prend son crayon, il les hachure en gris, comme on aveugle avec des briques les fenêtres des maisons à démolir pour éviter leur squatterisation. Il médite devant ces cases aveugles. Il a des curiosités, des scrupules :
Les solutions que je décrète impossible le sont-elles vraiment ?... Le héros d'un roman déclaré tel, peut-il avoir le même nom que l'auteur ? Rien n'empêcherait la chose d'exister, et c'est peut-être une contradiction interne dont on pourrait tirer des effets intéressants. Mais, dans la pratique, aucun exemple ne se présente à l'esprit d'une telle recherche...
Donc cette case aveugle serait vide... Il pense bien au Sabbat (1946) de Maurice Sachs, mais conclut, sans doute à juste titre, que le sous-titre roman était le fait de l'éditeur... Donc la case aveugle est vide. On a de ces aveuglements...
Acte 2, 1977.
Croyant la maison vide, puisqu'on a bouché les fenêtres, un squatter se présente. Serge Doubrovsky, qui est en train d'écrire un texte personnel au statut indécis, reconnaît dans la case aveugle son indécision, et décide d'occuper les lieux :
Je me souviens, en lisant dans Poétique votre étude parue alors, avoir coché le passage... J'étais alors en pleine rédaction et cela m'avait concerné, atteint au plus vif. Même à présent, je ne suis pas sûr du statut théorique de mon entreprise, ce n'est pas à moi d'en décider, mais j'ai voulu remplir très profondément cette «case» que votre analyse laissait vide, et c'est un véritable désir qui a soudainement lié votre texte critique et ce que j'étais en train d'écrire, sinon à l'aveuglette, du moins dans une demi-obscurité... [lettre à Ph. Lejeune, nov. 1977].
Dans son «roman» intitulé Fils, Serge Doubrovsky emploiera donc son propre nom. Cette ambiguïté du contrat de lecture traduira l'ambiguïté de son projet : véracité de l'information, liberté de la mise en écriture. Il fait sauter les briques qui obturent la fenêtre et plante son drapeau : Fils est baptisé «autofiction». Le mot ne sert pas de sous-titre générique du livre (ce sera «roman»). Il est proposé en page 4 de couverture :
Fiction, d'événements et de faits strictement réels ; si l'on veut, autofiction, d'avoir confié le langage d'une aventure à l'aventure du langage, hors sagesse et hors syntaxe du roman, traditionnel ou nouveau. Rencontres, fils des mots, allitérations, assonances, dissonances, écriture d'avant ou d'après littérature, concrète, comme on dit musique. Ou encore, autofriction, patiemment onaniste, qui espère faire maintenant partager son plaisir.
Le mot apparaît donc dans un contexte ludique : un mot-valise, jailli du bouillonnement de l'écriture, immédiatement retransformé. C'est un exemple de la manière du livre autant qu'une désignation de son genre.
Mais au fond ?... Une fois le livre publié, Serge Doubrovsky s'interrogera sur le statut théorique de son entreprise, descendra dans la rue pour voir comment son drapeau flotte à la fenêtre, et publiera deux études d'auto-théorisation qui donneront au mot ses lettres de noblesse («L'initiative aux maux. Ecrire sa psychanalyse» et «Autobiographie/Vérité/Psychanalyse», 1979 et 1980). Et puis un genre, c'est comme une habitude : ça commence à la seconde fois. En 1982, Un amour de soi reprendra exactement le dispositif de Fils...
Acte 3, 1984.
Un huissier vient constater l'état des lieux : la fenêtre avait été bouchée par erreur ! En fait le local est habité... Il y a même beaucoup de monde. On laisse le drapeau, qui a fière allure, et on dresse l'inventaire de tous ces écrivains qui, comme M. Jourdain sa prose, ont fait de l'autofiction sans le savoir.
Jacques Lecarme écrit pour l'Encyclopædia Universalis une mise au point qui montre que la case n'était pas vide (Céline ! Malraux ! et d'autres...), et surtout qu'elle s'est prodigieusement remplie depuis le début des années 1970 (Modiano, Barthes, Gary, Sollers, etc.).
Mais ce repérage historique, largement pratiqué, émousse la définition un peu pointue impliquée par le quadrillage de Philippe Lejeune, et reprise par Serge Doubrovsky. De proche en proche, il englobe toutes les tentatives intermédiaires entre l'autobiographie nettement déclarée et la fiction non-autobiographique. Des dispositifs textuels, des stratégies personnelles entre eux assez différents, réunis par une certaine ambiguïté générique. «Autofiction», par métonymie, devient la capitale d'un assez vaste pays.
L'éditeur d'Universalia a-t-il eu peur du néologisme ? Ou bien a-t-il eu des scrupules d'ordre théorique ? Toujours est-il qu'il a substitué au titre proposé par Jacques Lecarme, Autofiction, un plus classique Fiction romanesque et autobiographie.
Acte 4, 1989.
Une maison concurrente s'établit en face ! Avec la même enseigne ! Mais le pavillon couvre une autre marchandise... Un jeune chercheur, Vincent Colonna, reprend à la base le problème posé par la case aveugle. Côté nom propre, pas de problème. Côté fiction, il donne au mot, très légitimement, un sens complet et large : aussi bien le fictionnel (la mise en forme littéraire) que le fictif (l'invention même du contenu). Le troublant est qu'il réutilise, avec une nouvelle définition, le mot inventé par Doubrovsky :
Dès à présent, cette enquête sur l'autofiction dispose de repères précieux. Ce sont un terminus technicus et une première définition : Une autofiction est une œuvre littéraire par laquelle un écrivain s'invente une personnalité et une existence, tout en conservant son identité réelle (son véritable nom). Bien qu'intuitive, celle-ci permet de dessiner les contours d'une vaste classe, d'un riche ensemble de textes : une contrée littéraire semble émerger des limbes de la lecture. C'est aussi un nouveau visage et une nouvelle cohérence que paraissent acquérir certaines œuvres ; toute une théorie d'écrivains réputés «mythomanes», de Restif à Gombrowicz, dont les fabulations intimes prennent soudain une valeur littéraire. C'est le moyen, enfin, de mettre en perspective des œuvres jamais ou rarement rapprochées. Que peuvent bien avoir en commun La Divine Comédie et la trilogie allemande de Céline, Moravagine et la Recherche, Siegfried et le Limousin et Cosmos, le Quichotte et Aziyadé ? Ils présentent pourtant la propriété commune d'être fictifs et d'enrôler leurs auteurs dans le monde imaginaire qui leur est propre.
L'enquête s'étend à la littérature mondiale et au passé le plus lointain pour faire jaillir l'évidence d'une pratique insoupçonnée des lecteurs. Est-ce vraiment un genre ? Comment peut-elle englober sous le même nom ceux qui promettent toute la vérité (comme Doubrovsky) et ceux qui s'abandonnent librement à l'invention ?
La thèse de Vincent Colonna, dirigée par Gérard Genette, a été soutenue en 1989. Elle est encore inédite. Elle a pour titre : L'Autofiction. Essai sur la fictionnalisation de soi en littérature.
Acte 5, 1991-1992.
Serge Doubrovsky aimerait organiser un colloque sur l'autofiction. Le groupe «récits de vie» de Nanterre s'interroge justement sur le thème de son prochain colloque. Marché conclu !... On fera colloque commun. Il s'agit d'y voir clair dans cette petite aventure théorique. Elle recroise les interrogations actuelles d'autres disciplines : en poétique (Gérard Genette vient de publier Diction et Fiction) ou en philosophie (Temps et Récit de Paul Ricœur, avec l'idée de configuration et d'identité narrative) ; des recherches qui se développent à l'étranger, celles de Paul John Eakin en particulier ; des inquiétudes aussi, comme celle d'Olivier Mongin, qui diagnostique dans l'auto un virus qui tue la fiction...
Les réunions préparatoires du groupe seront très animées. C'est un bon thème, puisqu'il ne fait pas l'unanimité. Peut-on penser avec un mot pareil ? Il y a ceux qui croient à l'autofiction, ceux qui n'y croient pas. Ceux qui savent ce que c'est, ceux qui n'y voient goutte. Ceux qui aiment et ceux qui détestent. Ceux qui changent de définition d'une séance à l'autre....
Tout se passe comme si le mot «autofiction» était un catalyseur. Ou une particule traceuse, dont la trajectoire révèle les lignes de force d'un champ, avant de s'évanouir. Peut-être n'existe-t-il pas vraiment de «genre» qui corresponde à ce mot, mais dans le sillage de son passage nos problèmes s'éclairent, nos différences s'expriment.
Interrogations contemporaines : nous essaierons d'étendre la réflexion à d'autres littératures... Nous voulions aussi, sortant de la littérature, réfléchir à la mise en jeu du corps propre et de l'image de soi au cinéma (chez Boris Lehman par exemple) ou au théâtre (chez Philippe Caubère) : ce sera pour un autre colloque... Ou faire une incursion vers les «écrits bruts» : nous l'avons fait.
Le colloque a eu lieu à Nanterre les 20 et 21 novembre 1992. On suivra dans les Actes ici réunis le fil de nos explorations. Impossible, malheureusement, de faire entendre la Table Ronde finale, dernière scène animée de notre Acte 5, qui, autour de Serge Doubrovsky, réunissait Annie Ernaux, François Nourissier et Alain Robbe-Grillet. Mais Annie Ernaux et François Nourissier ont bien voulu écrire quelques pages sur leur rapport à cette notion problématique.
Pour laisser le débat ouvert, nous avons choisi d'employer, dans notre titre, le pluriel : «Autofictions & Cie», en écho amical, aussi, à la collection «Fiction & Cie» dirigée au Seuil par Denis Roche.
Et vous pourrez lire, en exergue, un florilège de variations qui, de Léon Bloy à François Nourissier, attestent la réalité des questions à travers lesquelles le mot «autofiction» va nous entraîner...
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Références pour les cinq actes :
1. Philippe Lejeune, «Le pacte autobiographique», Poétique, n° 14, 1973 (repris en 1975 dans le volume Le Pacte autobiographique au Seuil) ; «Le pacte autobiographique (bis)» et «Autobiographie, roman et nom propre», dans Moi aussi, Seuil, 1986 ; «Qu'est-ce qui ne va pas ?», in Entre l'histoire et le roman : la littérature personnelle, Université libre de Bruxelles, Centre d'études canadiennes, 1993.
2. Serge Doubrovsky, Fils, roman, Ed. Galilée, 1977«L'initiative aux maux. Ecrire sa psychanalyse», Cahiers Confrontation, n° 1, printemps 1979 ; «Autobiographie/Vérité/Psychanalyse», L'Esprit créateur, XX, n° 3, automne 1980 (repris en partie dans Autobiographiques, P.U.F., 1988) ; Un amour de soi, Hachette, roman, 1982 ; Le Livre brisé, roman, Grasset, 1989.
3. Jacques Lecarme, «Fiction romanesque et autobiographie», Universalia, 1984, p. 417-418 ; Jacques Lecarme et Bruno Vercier, «Premières personnes», Le Débat, n° 54, mars-avril 1989.
4. Vincent Colonna, L'Autofiction. Essai sur la fictionnalisation de soi en littérature, doctorat de l'E.H.E.S.S. sous la direction de Gérard Genette, 1989 (microfiches n° 5650, Lille, ANRT, 1990).
5. Paul John Eakin, Fictions in Autobiography : Studies in the Art of Self-Invention, Princeton University Press, 1985 ; Touching the World : Reference in Autobiography, Princeton University Press, 1992 ; Gérard Genette, Diction et Fiction, Seuil, 1991 ; Olivier Mongin, «Identité et littérature : la France en mal de fiction», Le Monde, 3 juillet 1992 ; Paul Ricœur, Temps et Récit, Seuil, 1983-1985, 3 volumes.
Variations:
BLOY
On parle beaucoup de la littérature vécue, des livres vécus. La plupart des romanciers contemporains nous donnent ainsi à flairer leurs petites affaires de cœur. Je veux me persuader que ce barbarisme finira par tomber dans le ridicule.
Mais si l'on y tient absolument, quel livre, je le demande, quel roman moderne, quelle autobiographie mâtinée de fiction, pourrait être plus vécue que [les Chants de Maldoror] ?
"Le cabanon de Prométhée. Sur Lautréamont" (1890)
repris dans Belluaires et Porchers (1905)
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GIDE
Tout ce que j'écrirais pour m'expliquer, me disculper, me défendre, je dois me refuser tout cela. J'imagine souvent telles préfaces à l'Immoraliste, aux Faux-Monnayeurs, à la Symphonie, l'une surtout où exposer ce que j'entends par l'objectivité romancière, où établir deux sortes de romans, ou du moins deux façons de regarder et de peindre la vie qui, dans certains romans (Wuthering Heights, ceux de Dostoïevsky), se rejoignent. L'une, extérieure et que l'on nomme communément objective, qui voit d'abord le geste d'autrui, l'événement et qui l'interprète. L'autre qui s'attache d'abord aux émotions, aux pensées, et risque de rester impuissante à peindre quoi que ce soit qui n'ait d'abord été ressenti par l'auteur. La richesse de celui-ci, sa complexité, l'antagonisme de ses possibilités trop diverses, permettront la plus grande diversité de ses créations. Mais c'est de lui que tout émane. Il est le seul garant de la vérité qu'il révèle, le seul juge. Tout l'enfer et le ciel de ses personnages est en lui. Ce n'est pas lui qu'il peint, mais ce qu'il peint, il aurait pu le devenir s'il n'était pas devenu tout lui-même. C'est pour pouvoir écrire Hamlet que Shakespeare ne s'est pas laissé devenir Othello.
8 février 1927
Journal 1889-1939, Gallimard, Pléiade, p. 829.
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MALRAUX
Bien qu'il eût à peine bu, il était ivre de ce mensonge, de cette chaleur, de l'univers fictif qu'il créait. Quand il disait qu'il se tuerait, il ne se croyait pas ; mais, puisqu'elle le croyait, il entrait dans un monde où la vérité n'existait plus. Ce n'était ni vrai ni faux, mais vécu. Et puisque n'existaient ni son passé qu'il venait d'inventer, ni le geste élémentaire et supposé si proche sur quoi se fondait son rapport avec cette femme, rien n'existait. Le monde avait cessé de peser sur lui. Délivré, il ne vivait plus que dans l'univers romanesque qu'il venait de créer, fort du lien qu'établit toute pitié humaine devant la mort.
[Clappique]
La Condition humaine (1933), Folio p. 247.
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DRIEU LA ROCHELLE
Mon œuvre romanesque est manquée [...]. Mais, avec plus de réflexion, d'habileté, de soin, j'aurais pu trouver une forme qui convînt à mon souffle court, à mon attachement au réel tel quel. Quelque chose entre le journal et les mémoires. Comme tant d'autres Français. J'ai manqué même cela pour une autre raison : le manque de courage moral. J'aurais pu remplacer le manque de dons par la sincérité, en poussant à fond l'aveu.
Ou j'aurais pu trouver des transpositions qui n'auraient rien retiré à l'acuité de l'aveu ? Fut-ce manque de courage ? ou simplement paresse, légèreté ? Je pense si peu à ce que j'écris.
8 octobre 1939
Journal 1939-1945, Gallimard, 1991, p. 90.
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CELINE
Cela nous fera un roman d'environ 500 pages...
[Sur D'un château l'autre]
Lettre à Nimier, 25 février 1957
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LEIRIS
Un livre qui ne serait ni journal intime, ni œuvre en forme, ni récit autobiographique ni œuvre d'imagination, ni prose ni poésie, mais tout cela à la fois. Livre conçu de manière à pouvoir constituer un tout autonome à quelque moment que (par la mort, s'entend) il soit interrompu. Livre, donc, délibérément établi comme œuvre éventuellement posthume et perpétuel work in progress.
Par procédés stylistiques ou typographiques (peut-être les deux conjugués ?), distinction immédiatement saisissable entre ce qui a été - ou est vécu - et ce qui est inventé.
26 septembre 1966
Journal 1922-1989, Gallimard, 1992, p. 614
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BARTHES
Tout ceci doit être considéré comme dit par un personnage de roman - ou plutôt par plusieurs. Car l'imaginaire, matière fatale du roman et labyrinthe des redans dans lesquels se fourvoie celui qui parle de lui-même, l'imaginaire est pris en charge par plusieurs masques (personae), échelonnés selon la profondeur de la scène (et cependant personne derrière). Le livre ne choisit pas, il fonctionne par alternance, il marche par bouffées d'imaginaire simple et d'accès critiques, mais ces accès eux-mêmes ne sont jamais que des effets de retentissement : pas de plus pur imaginaire que la critique (de soi). La substance de ce livre, finalement, est donc totalement romanesque. L'intrusion, dans le discours de l'essai, d'une troisième personne qui ne renvoie cependant à aucune créature fictive, marque la nécessité de remodeler les genres : que l'essai s'avoue presque un roman : un roman sans noms propres.
Roland Barthes par Roland Barthes, Seuil, 1975, p. 123-124
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MODIANO
Qu'est-ce qu'un "livret de famille" ? C'est le document officiel rattachant tout être humain à la société dans laquelle il vient au monde. Y sont consignés avec la sécheresse administrative que l'on sait une série de dates et de noms : parents, mariages, enfants et, s'il y a lieu, morts. Patrick Modiano fait éclater ce cadre administratif à travers un livre où l'autobiographie la plus précise se mêle aux souvenirs imaginaires.
Page 4 de couverture de Livret de famille, Gallimard, 1977
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DOUBROVSKY
Pour l'autobiographe, comme pour n'importe quel écrivain, rien, pas même sa propre vie, n'existe avant son texte ; mais la vie de son texte, c'est sa vie dans son texte. Pour n'importe quel écrivain, mais peut-être moins consciemment que pour l'autobiographe (s'il est passé par l'analyse), le mouvement et la forme même de la scription sont la seule inscription de soi possible, la vraie «trace», indélébile et arbitraire, à la fois entièrement fabriquée et authentiquement fidèle.
"L'initiative aux maux", Cahiers Confrontation, n° 1, 1979, p. 105.
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DURAS
On ne sait pas quand les choses sont là dans la vie. Ça échappe. Vous me disiez l'autre jour que la vie apparaissait souvent comme doublée. C'est exactement ce que je ressens : ma vie est un film doublé, mal monté, mal interprété, mal ajusté, une erreur en somme. Un polar sans tueries, sans flics ni victimes, sans sujet, de rien. Il pourrait être un vrai film dans ces conditions et non il est faux. Allez savoir ce qu'il faudrait pour qu'il ne le soit pas.
La Vie matérielle, P.O.L., 1987, p 139
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NOURISSIER
Il m'a fallu, pour écrire quelques romans, déployer des ruses et prodiguer une énergie incroyables. Je suis seul - avec mes proches, peut-être, qui en ont subi les tumultes - à savoir quelle bataille, souvent comique, toujours harassante, j'ai menée contre les sentiments d'impuissance et d'inutilité. Le plus souvent je m'en suis tiré en amalgamant confidence et invention jusqu'à ne plus savoir où était l'aveu, où, le roman. Il m'est même arrivé d'utiliser la première personne et les apparences de la confession afin de donner à un récit ce frémissement inséparable de l'autobiographie (frémissement du style et malsaine excitation du lecteur), que je contrôle mieux, je le savais, que toute autre forme d'expression.
Bratislava, Grasset, 1990, p. 32-33



     

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